J’utilise des feuilles de porcelaine noire ou blanche déposées sur des supports bois. Je réalise ces minces feuilles de porcelaine à partir de barbotine et de cellulose que je coule sur du papier chinois froissé. Cette matière conserve les traces en filigrane du papier. Les pièces sont d’une fragilité extrême. Elles sont brodées avec du fil de coton. La couture est automatique, guidée par l’espace disponible disséminant des constellations, lignes imaginaires à la surface de la porcelaine. Mes textures sont mates. J’utilise le noir dont j’apprécie le dénuement. Il rend sensible la moindre nuance à ses côtés. Il autorise la mise en relief des contours de la porcelaine. Entre ces deux couleurs extrêmes, toutes les nuances du gris sont abordées sur les papiers marouflés, et le rouge ou l’orange ponctuent ces créations.
Mon travail s’inscrit dans un mouvement de l’art fragile nommé « art du presque rien » qui capte d’infimes fragments de vie. Cette esthétique minimaliste révèle le sens et la beauté cachés des instants fragiles, comme le crissement d’une brindille, des moments en rupture avec le quotidien. L’art fragile fait l’éloge de la vie dans la simplicité. Cependant la transcription de ces petits riens exige une prédisposition du regard, une sensibilité exacerbée. L’art fragile s’attache à prolonger ces instants volatils, il se préoccupe de l’existence humaine, de sa fragilité et de la fragilité de toutes choses. Dans une société du superlatif, ce goût de l’infime traduit une prise de conscience de la nécessité du fragile, de ces « petits riens ». L’utilisation de pièces de porcelaine noire et de porcelaine blanche déposées sur des papiers venus d’Asie prolonge ce mouvement vers la sobriété primordiale. Je puise dans la campagne où je réside et travaille cette dimension méditative et contemplative, une expression de la mélancolie et de la sérénité de la nature. Mon travail tend à s’émanciper de l’impératif de communication. Mes créations abstraites ne se laissent pas déchiffrer dans l’instant. Mais c’est réellement un espace de création libre. La fragilité est suggérée par les papiers froissés et les feuilles de porcelaine-papier translucides.